Ouverture de "Monsieur 342"
Ouvrir une voie c'est toujours une petite aventure.
La ligne repérée lors de la précédente escalade sur cette belle falaise des Vuardes me titillait bien le cerveau: le rocher était beau, il semblait y avoir un itinéraire direct, mais il y aurait du boulot ... Aussi proposais-je à JeanSé de m'accompagner dans ce "chantier". Après avoir placé des corde fixes pour descendre le long de la paroi nous acquîmes la certitude qu'il y avait bien la possibilité d'une escalade de qualité.
Nous nous lançons donc à l'assaut, remontant, la perceuse entre les dents, au plus près de la corde qui nous sert de fil rouge dans cet océan vertical.
Le rituel est simple: anticiper sur le prochain point de protection à placer, décortiquer la séquence de grimpe, se suspendre sur un "crochet", forer un trou (en gardant un oeil sur le dit crochet !) puis placer le spit. Facile à dire....un peu plus long à réaliser.
Finalement nous butons sous un verrou : à droite? , à gauche ?: il nous faudra remonter sur la corde et nous balancer de part et d'autre dans l'air des Vuardes avant de trouver la faille :
Une fissure dans un toit nous ouvre la porte d'un magnifique dièdre. En son centre un tronc d'arbre pourra nous accueillir commodément: un trône perché en plein gaz.
En milieu de semaine nous nous rendons à Chamonix, une cérémonie y rend hommage à René Desmaison. Tout en écoutant les témoignages de ses anciens compagnons de cordée, nous évoquons , avec d'autres, les exploits de ce grand homme. Au même titre que Walter Bonatti, cette figure mythique a imprégné la jeunesse de toute une génération d'alpinistes et montagnards . Son célèbre récit 342 Heures dans les Grandes Jorasses" nous a tenu en haleine; Une volonté farouche, l'engagement extrême, la soif d'aller jusqu'au bout mais aussi une sensibilité, à fleur de peau, se dégageant de ces lignes ont , en leur temps , fortifié notre envie de vivre la montagne. Il est évident que,aujourd'hui encore, nous avons la chance de partager cette vision magnifique qu'il a su léguer .
Quelques temps plus tard nous reprenons l'ascension, Gérôme vient gentiment nous prêter la main pour terminer.
De gouttes d'eau en dièdre bouché, de dalle raide en bombé bleuté, patiemment, nous poursuivons à trois cette errance verticale. Les
dos sont fourbus, les cuissent rougissent à force d'heures suspendues
dans les baudriers, des petites douleurs apparaissent dans toutes le
jointures.... 6 jours pendus dans les baudriers , nous sommes loin de ces 342 heures accroché à une austère face nord. La ténacité et la force exceptionnelle de Desmaison alimentent nos conversations.
De temps à autre, loin en bas, la forêt résonne du fracas d'un bloc que nous arrachons à la montagne. Le nettoyage est long: du marteau on passe à la brosse puis à la brosse à dent. Mais la bonne humeur, les rires et l'amitié sont toujours présents !!, ils font également partie de cet héritage.
Enfin un soir nous gravissons les dernières longueurs tandis que, dans l'obscurité naissante, clignotent déjà les lumières de Magland. Soudain un vrombissement emplit l'air...chacun baisse la tête..pierre ? Non , ce sont des base jumpers: ils semblent vouloir nous offrir un véritable spectacle ! . Durant un quart d'heure ces missiles humains vont sillonner l'air du soir, de leurs gracieuses arabesques du vide, saluant ainsi notre renaissance au monde horizontal . Sans nous être concerté une évidence se dégage et "Monsieur 342 " s'impose, simplement.